Retour au temps ordinaire

16 janvier 2014

Extrait de la Lettre d’Informations du Diocèse d’Avignon, janvier 2014


Avec la célébration du baptême du Seigneur, s’ouvre la première semaine du temps ordinaire de notre actuelle année liturgique. Commencée par le Temps de l ‘Avent, celui de la Promesse, elle est tout entière tendue vers la fête du Christ-Roi, accomplissement de l’Histoire, non dans la construction d’une cité terrestre, mais dans le temps de Dieu, qui ne passe pas.

Le temps ordinaire, c’est le temps de l’Église ou, comme saint Augustin l’a magistralement développé à la suite du sac de Rome par Alaric, celui de la Cité de Dieu, qui, à la différence de la cité des hommes, n’est pas de ce monde, même si c’est dans ce monde où elle « pérégrine » – y séjournant en étrangère – qu’elle se trouve et se prépare, puisque ses citoyens, régénérés par la grâce du Christ, sont tous issus de la cité des hommes. Mais loin d’être destinée à mourir, un jour ou l’autre et quelle qu’en soit la manière, comme chacun d’entre nous, la Cité de Dieu vivra, et vit déjà dans ses saints, de la vie même de Dieu qui ne passe pas.

Dans le récit du baptême du Seigneur selon saint Matthieu, nous sommes à la charnière du temps : avec l’évocation de la mission de Jean Baptiste, c’est tout le sens spirituel du temps de l’Avent qui nous est rappelé, celui de la Promesse de Dieu faite à notre père Abraham et à laquelle nous ne pouvons répondre que par notre conversion, en préparant le chemin du Seigneur.

Mais, baptisé par Jean, voici que Jésus à son tour baptise. Toutefois, il le fait tout autrement, et déjà s’annonce la longue parenthèse du temps pascal : la longue préparation du Carême, car on n’en a jamais fini de se convertir et, jusqu’à la Pentecôte, ses cinquante jours d’accomplissement pour bien nous pénétrer de ce qui a changé radicalement le sens de l’histoire des hommes, en lui donnant son centre. Ce centre – la croix du Christ, unique porte qui puisse conduire à la résurrection et à la vie de Dieu – nous permet de lire ce qui, mystérieusement, se trame à travers notre histoire : les signes des temps. Car le ciel s’est ouvert, notre horizon n’est plus bouché par la mort inéluctable : le Christ nous a ouverts à la vie de Dieu et, pour nous qui le savons, il s’agit désormais de vivre ce temps qui passe en attachant notre coeur à ce qui ne passe pas, à l’amour, puissance régénérante qui vient de Dieu, qui est de Dieu, qui est Dieu même agissant parmi nous par son Esprit. Il nous faut donc « tâcher de vivre » au mieux, non seulement pour ne pas désespérer, mais pour rendre grâce à celui qui, loin de se contenter de nous donner de vivre, veut nous faire partager sa vie.

Jean, à qui Jésus demande de le baptiser, sait très bien que c’est lui qui devrait être baptisé par Jésus. Mais Jésus insiste : il lui demande de « laisser les choses se faire ainsi, afin que soit accomplie toute justice ». Quelle justice, sinon celle qui vient de Dieu ? Celle dont parlait Jean-Baptiste dans son discours aux juifs qui venaient à lui pour être purifiés de leurs péchés, quand il leur présentait Dieu tenant déjà dans sa main la pelle à vanner pour séparer les grains de la paille, tout en étant tout à fait explicite sur ce qui attend chacun : le grenier de Dieu pour les grains et le feu qui ne s’éteint pas pour la paille ? Pas vraiment, puisque Jésus est venu pour nous sauver de ce jugement impitoyable, ce qui ne veut pas dire que, quoi que nous ayons pu faire, le salut étant de toute façon accompli sans nous dans la mort du Christ, « nous irons tous au paradis », comme automatiquement. En effet, en nous créant libres, responsables chacun de notre propre devenir, Dieu s’est en quelque sorte interdit de nous sauver malgré nous.

Cependant, en se faisant baptiser par Jean, Jésus, dans la pleine force de son âge d’homme, a ouvert son chemin parmi nous, celui de l’humilité, pour nous toucher dans nos coeurs d’hommes. Et c’est ainsi qu’il a commencé à se faire pour nous « chemin », l’unique chemin qui conduise à son Père, celui qu’il nous faut prendre en marchant à sa suite, mais surtout dans lequel il faut nous laisser prendre. Car il est aussi la « vérité » qui doit germer de la terre – du dialogue entre les hommes – cette vérité qui n’a pas d’autre réalité pour nous que dite ou que faite chair, dans des actes ; et il est la « vie », celle de son Église, ce grand corps dont il est la tête, et qui a pour mission d’être, dans le monde, jusqu’à ce qu’il revienne dans sa gloire à la fin des temps, le signe visible de sa présence agissante parmi les hommes.

Avec lui, bonne année à tous.

Jean Mallein