Portrait : Soeur Carine Salomé, les enfants et Jésus au coeur

4 novembre 2019

Carine Salomé est laïque consacrée pour le diocèse d’Avignon.
Entretien avec Martine Racine pour l’émission « Pourquoi le taire ? » sur RCF Vaucluse

Quelle est votre mission ?

Je suis envoyée chaque année, par le diocèse, pour faire du soutien spirituel dans les camps de réfugiés, et particulièrement auprès des enfants.

Où ?

La dernière mission était au Soudan. J’ai fait deux missions, une de six mois, l’autre de huit mois. Avant cela, j’étais en Irak où j’ai fait également deux missions.

Vous voulez leur faire découvrir Jésus ?

Oui. L’idée est de leur offrir un lieu où ils puissent se ressourcer, recevoir plein d’amour, que ce lieu soit un lieu de paix où ils puissent aussi se réparer, car ce sont souvent des enfants traumatisés par la guerre. C’est donc leur donner l’espérance, la lumière de la vie.

Comment vous organisez-vous dans les camps ? Vous créez une petite chapelle ?

Cela dépend. En Irak, la chapelle était au cœur d’un camp et je travaillais aussi avec des dominicaines dans une école pour enfants réfugiés : on avait transformé la bibliothèque en chapelle.
Au Soudan, c’était sur chaque paroisse autour de la ville de Khartoum où s’entassent des réfugiés.

Ce sont bien sûr des camps chrétiens ?

Oui tout à fait ; ma mission est en majeure partie auprès des chrétiens et notamment des réfugiés chrétiens. Au Soudan, les réfugiés remontaient le Soudan pour fuir la guerre du sud.

Parlez-vous l’arabe ?

Plus ou moins, parce que l’Irak n’a pas le même arabe qu’au Soudan. Donc pour la qualité, j’ai préféré travailler avec un traducteur en ce qui concerne les oratoires des enfants. Et pour les autres parties de la mission, c’est l’Esprit Saint qui m’aide et on avance comme ça.

Les enfants vous émerveillent...

Oui, ce sont eux qui, finalement, m’apprennent à prier. L’idée des oratoires, ce n’est pas seulement faire du catéchisme - même si ça vient compléter le catéchisme classique - mais c’est avant tout permettre aux enfants de faire une expérience avec Jésus Vivant dans leur cœur.
Concrètement il y a 3 temps forts :
. Un temps de prière du cœur : c’est un peu charismatique et on va demander au Seigneur de venir au milieu de nous et d apprendre aux enfants à entrer en relation avec Jésus Vivant ;
. Vient ensuite le temps de la Parole de Dieu dans la Bible, qui vient aussi travailler le cœur des enfants ;
. Enfin, le troisième temps fort est l’intercession, la prière ensemble en Église.

Il est très fort de voir comment les enfants entrent de manière naturelle dans la relation avec Dieu, Père, Fils et Esprit Saint et de voir également combien ils sont demandeurs. Ils ont quelquefois une heure de marche tout seuls, pour venir participer à cet oratoire. C’était comme cela en tous les cas au Soudan, avec la difficulté que les familles sont complètement déstructurées à cause de la guerre, donc les adultes ne sont pas présents et les enfants sont complètement livrés à eux-mêmes. Et il faut voir comme ils entrent dans la prière ; c’est, pour eux, recevoir l’amour de Dieu le Père et c’est une très belle expérience !

Et en Irak ?

J’y ai donc fait deux missions, de six mois et de huit mois. Et c’était aussi la même intuition. Il faut voir la foi des enfants, une foi qui déplace les montagnes.
Un jour, on était en train de méditer le Baptême du Christ et avec de l’eau de Lourdes, je bénissais chaque enfant avec une petite croix sur le front. Une petite fille me dit : « Est-ce que je peux prendre un petit peu d’eau car, depuis qu’on est partis de Karakosh, mon petit frère ne parle plus ? » Cela faisait donc deux ans et demi, à cause du traumatisme, que le petit frère ne parlait plus, et donc la petite fille voulait prier pour lui.
Je lui donne donc un petit fond d’eau dans une bouteille, car je n’en avais plus beaucoup, et elle repart. Deux jours plus tard, un petit garçon un peu plus âgé vient et me dit : « J’ai une question à te poser : pourquoi l’eau, elle grandit dans la bouteille ? »
Je ne comprends pas tout de suite la question et ma traductrice me dit qu’il s’agit du grand frère de la petite à qui j’avais donné de l’eau. On le fait alors parler et il nous dit qu’ils se sont mis à prier en famille pour leur petit frère, et leur maman leur a demandé de boire chacun de l’eau de la bouteille et de continuer à prier. Et au fur et à mesure qu’ils prenaient de l’eau, ils voyaient l’eau qui ne baissait pas mais qui, au contraire, augmentait dans la bouteille. Le petit frère qui ne parlait plus a alors commencé à sortir des sons. Il nous explique tout cela et je lui réponds que souvent Jésus s’y reprend à plusieurs fois pour pouvoir faire des guérisons et que c’était certainement un encouragement pour continuer à prier pour son petit frère.
La semaine suivante, le frère et la sœur viennent me voir et tous les deux me disent qu’ils ont continué, avec leur maman, à prier pour leur petit frère, l’eau a continué à augmenter dans la bouteille ; leur maman leur a demandé d’en boire encore plus et ils ont continué à prier...et leur petit frère a retrouvé la parole, il est guéri.

C’est un miracle !

C’est la foi des enfants. C’est pour cela que le Seigneur nous invite à être comme des petits enfants car c’est à eux qu’appartient le Royaume de Dieu. Et c’est vraiment ça : les enfants sont libres dans leur foi et dès qu’ils rencontrent Jésus, c’est une force incroyable de relation qui déplace les montagnes.
A la fin du silence lors de nos oratoires, je demande aux enfants s’ils ont entendu, senti, vu quelque chose, même s’il ne faut pas rechercher le sensible. Un jour, un enfant m’a dit : « Je ne savais pas comment faire pour prier alors j’ai demandé à Jésus qu’Il vienne et qu’Il me dise comment prier. Alors, Jésus est venu, Il s’est assis à côté de moi, Il m’a expliqué. J’ai commencé à faire ce qu’il m’avait dit, et c’était très beau ! »
Une autre m’a dit : « Jésus est arrivé ; Il s’est mis au milieu du tapis, à genoux » - je mets toujours un tapis pour prier, avec, au milieu, la Bible ouverte - « et Il a commencé à feuilleter la Bible dans un silence magnifique ! »
Les enfants font vraiment des expériences magnifiques.

Vous avez dit que les enfants viennent souvent de très loin et qu’ils sont seuls ?

Ils sont souvent avec leurs grands frères et sœurs, ados ou jeunes adultes.

Il n’y a plus de parents ?

En général, le papa est encore à la guerre, s’il n’est pas déjà décédé, et la maman est sur les routes ; elle va chercher des aides humanitaires dans les camps ou dans la capitale. Donc les adultes sont souvent absents.

C’est pour cela que vous vous occupez des enfants !

Oui, quand je suis là. Il faut savoir aussi que dans les camps, il y a beaucoup de trafic, des enlèvements d’enfants qu’on transforme en enfants-soldats. C’est catastrophique. L’idée est donc de leur donner du beau, un lieu pour recevoir de l’amour, un lieu qui est aussi réparateur. Un jour, au Soudan, au moment de la prière de l’oratoire, un enfant m’a dit : « J’étais en train de tomber dans un grand trou noir et Jésus est arrivé ; Il m’a attrapé, Il m’a pris dans ses bras et serré sur son cœur et m’a dit : N’aie pas peur ! » L’enfant était illuminé. Le Seigneur prend soin de ses enfants.

Donc, ils sont proches de Dieu, ces enfants ?

Par leur passé, par leur identité, ils savent que Dieu existe. La foi n’est pas cependant vivante comme on l’entend chez nous en France. Donc l’oratoire vient se greffer sur un terrain complètement ouvert et disponible. Et quand ils font la rencontre, c’est gagné : ils savent qu’il y a un lieu pour eux dans lequel Jésus les attend. Ils viennent s’approprier l’oratoire et c’est chez eux !

Ils viennent et reviennent ?

C’est ça. On a commencé avec une quinzaine d’enfants et là, on en a 80 à 90 par semaine sur une paroisse. Il a donc fallu multiplier les oratoires car à 90, on ne peut pas faire prier les enfants comme on les fait prier à 15 ou 20.

D’autres fioretti ?

Une enfant venait d’arriver du sud Soudan, complètement traumatisé. A l’école, il se mettait tout à coup à crier, à pleurer. Quand il est arrivé chez nous, je l’ai vite repéré. Au moment d’aller proclamer la Parole, je demande toujours à un enfant d’aller la chercher pour la donner dignement à celui qui va la proclamer. L’enfant n’arrivait pas à tenir en place, on sentait qu’il était mal. Je l’ai choisi pour aller chercher le Livre. Il s’est levé, il y est allé, a donné la Bible et est revenu à sa place avec un sourire incroyable. Et moi, je sais que là, il était heureux de se mettre au service de Jésus et je suis sûre qu’il a rencontré Jésus. Et il était dans une paix extraordinaire jusqu’à la fin de l’oratoire.

Mais un enfant peut aussi avoir des moments de doute. Un jour, à la fin de l’oratoire, un enfant, pour répondre à ma question, dit : « Moi je n’ai rien entendu, rien vu, rien senti, rien du tout ! »
Et moi de lui répondre : « Veux-tu qu’on prie à nouveau trois minutes, mais pour toi ? On va tous prier pour toi. » Il acquiesce. On se remet alors dans la posture de la prière : bien assis, les yeux fermés, les mains sur les genoux. Quand tous, après la prière ont rouvert les yeux, l’enfant en question a fait un bond et a dit « Il est venu, Il est venu ! »
Pour nous adultes, c’est très compliqué, mais les enfants sont vraiment nos maîtres dans la prière. C’est, en effet, très beau de voir comment ils entrent dans cette relation avec Jésus Vivant.

Ils vous émerveillent ?

Oui, ce sont eux qui me permettent un approfondissement dans ma foi en fait.

Vous allez repartir ?

Oui ; je vais discerner où sera ma prochaine mission. Actuellement, le Soudan est très compliqué. Ce sera soit le Sud Soudan, soit l’Ouganda où il y a plus de deux millions de réfugiés. Je viens d’avoir aussi une invitation pour le Congo, ou cela peut être Alep en Syrie, ou le Vénézuela. Ce ne sont que des lieux difficiles, mais le Seigneur veut être partout et il faut être partout à son service.

Quand vous partez d’un lieu, y a-t-il d’autres personnes qui prennent la relève ?

Oui, un des gros pôles de ma mission est la formation. En partant du Soudan, j’ai fait la formation de formateurs. Dans chaque paroisse où la mission a été mise en place, j’ai formé de jeunes adultes pour prendre le relais et en plus, j’ai donc fait des formations de formateurs. Donc, maintenant, deux animateurs sont aptes à former sur de nouvelles paroisses. Idem pour l’adoration du Saint Sacrement : quand elle est mise en place, en général, c’est le prêtre sur place qui prend le relais et qui est touché aussi par les grâces. Il y aurait aussi plein de belles choses à raconter avec l’adoration du Saint Sacrement. Le Seigneur fait des merveilles.

Carine, vous vivez de rien. Si quelqu’un veut vous aider, il suffit d’écrire ou d’envoyer quelque chose à l’évêché. Comment s’appelle votre association ?

Mission Naïm Espérance