Portrait : Kilou, en chemin vers la confiance

14 avril 2020

Kilou est carpentrassienne, médecin à la retraite, mariée, maman d’une fille et grand-mère.
Pendant plusieurs années, avec son amie Françoise, elle a fait étape après étape, le chemin complet de Saint Jacques de Compostelle.
Entretien réalisé par Martine Racine pour l’émission Pourquoi le taire ? sur RCF Vaucluse


Combien de kilomètres faisiez-vous chaque jour ?

Nous faisions 25 kms par jour et une étape durait de 10 jours. Donc nous faisions 250km par étape. Nous sommes parties du Puy jusqu’à Saint-Jacques. Cela nous a pris quelques années car nous partions 10 jours chaque année pendant nos vacances. On ne pouvait pas faire plus car nous ne voulions pas abandonner nos familles pendant 6 semaines ou 1 mois !

Pourquoi vous êtes-vous lancées dans une telle aventure ?

C’est difficile à dire. L’année précédente, on avait vu des gens sur le trajet de Saint-Jacques ; ma fille menacée de stérilité, venait d’attendre des jumeaux…

Elle ne pouvait pas avoir d’enfants et s’est mise à attendre des jumeaux ?

C’est une chose un peu extraordinaire : cela faisait un moment qu’elle était en concubinage, ils voulaient des enfants et cela n’arrivait pas. Elle est donc allée consulter et à moment donné, au milieu de tous ces examens, elle me dit qu’elle va se marier. Il faut dire que je la tannais en lui disant qu’ils étaient sûrs d’eux et qu’il fallait qu’ils se marient.
Ils se sont mariés et les jumeaux sont nés juste neuf mois exactement après la date de son mariage !

Vous vous êtes dit qu’il y avait peut-être un petit coup de Saint Jacques ?

Pas vraiment, on n’est pas des mystiques ! J’ai dû bien dire : Merci mon Dieu, comme j’ai dit merci au gynécologue, à la bonne Nature…

Mais vous avez eu envie de faire ce chemin !

Oui, je me suis dit qu’au moins je pouvais remercier et que c’était une expérience.

C’était dur ?

A l’époque- je vous parle d’il y a plus de 30 ans- ce n’était pas un chemin de grande randonnée. C’était difficile car il n’y avait pas de haltes aussi précises que maintenant ; donc si on avait loupé un gîte, alors on se retrouvait à dormir dans des conditions assez extraordinaires ! Il y avait très peu de gîtes et il y avait d’ailleurs très peu de pèlerins. On se retrouvait relativement peu aux étapes.

Les soirées se passaient bien ?

Oui, parce que c’était toujours axé sur le religieux : il y avait des gens très différents mais nous étions tous venus quand même avec l’idée d’être sur un chemin sacré, spirituel. On était souvent accueillis dans des presbytères.

Dans votre tête, vous cherchiez un Texte !

Pendant notre pèlerinage, Françoise et moi avions apporté dans nos affaires, un petit Evangile pas trop lourd ; et chaque soir, on disait : « Il faudrait qu’on retrouve cet Evangile qui dit : ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez, et ce passage des oiseaux du ciel… » Mais chaque soir, trop fatiguées, on remettait ça à demain ! et de demain en demain, jusqu’à la dernière étape, on n’a jamais ouvert notre Evangile !

Pendant toutes les années du chemin ?

Les premières années, cela n’a pas été si prenant, mais à la dernière étape, on a vraiment regretté de ne pas avoir trouvé ces versets.

Qu’est-ce qui s’est passé quand vous êtes arrivées à Saint-Jacques de Compostelle ?

On est sur une petite colline quand on arrive et on peut voir Saint-Jacques de loin. Saint-Jacques est une ville industrielle et pas du tout tournée vers le mysticisme. On arrive donc, crevées. Il pleuvait. Rien n’allait avec la joie qu’on espérait. En plus, on se perd dans Saint-Jacques de Compostelle. A moment donné, on prend une rue minuscule, sous la pluie, et cette petite rue toute grise aboutit sur l’esplanade de Saint Jacques. A ce moment-là, le soleil s’est levé et l’esplanade était toute illuminée de lumière. Il était midi ; il y avait très peu de monde et cette esplanade illuminée de façon miraculeuse – mais c’est peut-être exagéré- m’a fait un effet de plénitude, comme si je pouvais mourir là, comme si tout était résolu. C’était un état tout à fait anormal.

Dieu était là ?

Je n’en sais rien s’Il était là ; Françoise aussi était touchée mais elle était moins émue que moi ; pourtant moi, je ne suis pas une mystique ! Et comme j’étais dans un état un peu second, Françoise a été obligée de me prendre la main pour aller faire signer nos compostelas, certificats attestant le chemin. Il fallait quand même revenir à une vie moins extravagante.
Après avoir signé, nous repartons au gîte et l’après-midi il y avait la prière pour les pèlerins. On s’assoit ; la messe commence ; on est tous entre pèlerins et c’est très bien. Arrive l’Evangile ; et qu’est-ce que j’entends ? l’Evangile qu’on avait cherché pendant 10 jours ! Cela a été quelque chose d’inouï. Françoise et moi, nous nous sommes regardées en pensant que tous les soirs, on voulait chercher cet Evangile, on voulait ne plus avoir peur. Et là, on nous l’apportait !
Aujourd’hui, j’en parle à peu près normalement, mais pendant des années, je n’ai pas pu raconter tout cela : c’était impossible, tellement cela avait été violent.

Grande émotion, grande joie ?

Je ne sais pas dire ; c’était violent. Evidemment c’était quand même du domaine de la joie, mais aussi de l’extraordinaire.

Et le lendemain ?

On essuie la larme pour décider de visiter la cathédrale. Sur notre carnet figurait la photo de Saint Jacques de Compostelle ; on tourne autour de la cathédrale pour essayer de voir cette statue…et pas de Saint Jacques. On avise alors un prêtre qui se trouvait là qui nous répond qu’elle serait effectivement là, si elle n’avait pas été retirée pour restauration. Mon amie Françoise qui n’est pas mystique me dit alors : « Tu vois, ce qui est important, c’est le chemin, pas le lieu même ! »
Le lendemain, nos maris sont là qui nous accueillent ; on leur dit qu’on va leur faire visiter la ville, même si la statue de Saint Jacques n’y est pas ; et quand on est arrivés devant l’endroit où nous ne l’avions pas vue la veille, Saint Jacques était là, revenu de la restauration !
Encore pour vous !
Oui. Le chemin avait été le plus important mais le but était atteint ! Je suis contente de pouvoir en parler sans émotion, car j’ai du mal à croire, à chaque fois, que cela soit arrivé !

C’est comme le Texte d’Evangile !

Oui, ce Texte lui aussi nous est arrivé ! Et même ce soleil sur cette esplanade ! Et même ce Saint Jacques, perdu pour restauration, qui se retrouve là au moment où nous avions dit plusieurs fois que le plus important n’était pas le but mais le chemin !

Vous qui dites ne pas être mystique, tout cela était pourtant pour vous ?

Ah oui ; et quand j’ai des moments plus difficiles, comme tout le monde, je me rappelle de ça et je dis Merci mon Dieu !

Une immense récompense ?

Je ne sais pas si je peux appeler ça une immense récompense, mais plutôt un don.

Dieu était là ?

Oui, je le crois vraiment. Il nous a accompagnées sans que nous sentions vraiment et Il était là. On était sur le chemin avec l’aide de Dieu et avec nos jambes, et finalement, Il était vraiment là !
Je suis ravie d’en parler maintenant pour dire Merci et j’encourage les gens à aller marcher sur ce chemin de Saint-Jacques, à aller sur d’autres chemins, car au bout du compte, sans doute ils trouveront Dieu !