Portrait : Denis Morandeau, face à l’inattendu

13 octobre 2019

Denis Morandeau habite Carpentras. Il est assureur et père de famille de 3 enfants dont l’aîné Paul-Gabriel est différent.
Entretien avec Martine Racine, pour l’émission « Pourquoi le taire ? » sur RCF Vaucluse

Quand avez-vous vu son handicap ?

Nous nous sommes rendus compte de son handicap à l’âge de 6 mois, suite à un syndrome de West. La maladie de Paul-Gabriel est alors diagnostiquée par l’hôpital d’Avignon : Sclérose tubéreuse de Bourneville.

Cela a dû être un choc ?

Effectivement ! Puis petit à petit, nous avons voulu faire progresser notre petit Paul pour surmonter les étapes : l’apprentissage de la marche car il titubait plus qu’il ne marchait, l’apprentissage de la parole, encore maintenant. Aujourd’hui, ses phrases sont de plus en plus construites, et sont pleines d’humour.

Maintenant c’est un jeune adulte !

Il a 18 ans maintenant !

Votre famille l’a-t-elle aidé ?

Oui, Christel, mon épouse est exceptionnelle ; elle sait faire progresser Paul-Gabriel et gérer le quotidien, ce qui est le plus difficile à gérer car il faut être attentif à tout : la prise de médicaments, de nombreuses étapes à respecter.

A-t-il été à l’école ?

Tout à fait ; il a été scolarisé à la cité verte à Carpentras, puis aux Amandiers avec une enseignante exceptionnelle ; là il y a noué des amitiés. Puis il est allé à l’Institut Médico-Educatif de Serre. Maintenant qu’il a 18 ans, il faut qu’il aille dans un institut pro comme à Monteux, Arles ou Orange, sinon ce sera retour maison. Et c’est là qu’on s’est dit que cela n’allait pas être possible, que ce ne serait pas une vie pour lui de se retrouver seul à la maison, sans ses amis, même avec une famille aidante, avec des grands-parents bien présents aussi.

Est-ce qu’il communique facilement avec vous ?

Oui, il aime beaucoup communiquer et c’est une grande chance. Et il a été vraiment le moteur de la création du restaurant L’inattendu de Carpentras.

Donc vous lui en avez parlé ?

On lui a soumis l’idée et je crois qu’il est le seul à n’avoir jamais douté, le seul qui a été capable de faire abstraction complète de tous les chiffres, de toutes les contraintes, de tous les refus, de tous ceux qui nous ont dit que ce ne serait pas possible, qu’il nous fallait être raisonnables et arrêter. Tout cela ne l’intéressait pas et n’a jamais été sa préoccupation. Il nous a vraiment poussés ; je pense aussi à Christian, un ami de Mazan, que j’appelais quand j’étais vraiment découragé et Christian me répondait : « T’inquiète pas, on va trouver des solutions ! »

Votre fils aimait travailler, être avec les autres ?

Paul-Gabriel n’est pas dans toutes ces considérations-là, il ne se pose pas de question : il dit qu’il est heureux comme ça, que tout va bien, mais lui, ce qui l’intéresse c’est la voiture de Papy par exemple ; et quand on lui a parlé du restaurant, il a répondu : « Je veux ce restaurant ; on l’aura, c’est quand ? »

C’est beau !

C’est formidable car maintenant on voit son bonheur le samedi quand il y est, le bonheur de retrouver ses copains, le bonheur de pouvoir appuyer sur la machine à café, de pouvoir servir un café ou un chocolat...Le sourire de ces jeunes est un moteur exceptionnel !

Ce restaurant est ouvert, il fonctionne bien ; Combien y a t-il de jeunes aujourd’hui ?

Il y a une douzaine de jeunes aujourd’hui ; Christelle d’ailleurs ne pensait pas au début qu’on en aurait autant. Je crois profondément que c’est la Providence : on pensait à 3 ou 4 copains de Paul-Gabriel pour ouvrir. Nous avons aussi pensé à la souplesse de la structure et on s’est dit alors qu’il fallait faire appel à des bénévoles. Au départ, il n’y en avait pas beaucoup, Puis de nombreux autres sont arrivés, avec une vraie générosité. De plus, avec les contraintes de la restauration, de l’hygiène, de la vente d’alcool, il faut être extrêmement rigoureux et donc il fallait qu’on se professionnalise.

Vous avez un cuisinier salarié ?

Exactement. Nous avons embauché Thierry Pérez qui est disciple d’Escoffier et qui est venu nous rejoindre en janvier dernier, interpellé par notre projet alors que lui-même s’était engagé ailleurs. Et Thierry a dit : « Je crois que je suis fait pour ça, je viens avec vous ! »

Tous ensemble donc, ils forment un ensemble exceptionnel ?

Oui, c’est un ensemble qui fonctionne, mais qui est totalement inattendu, hétéroclite et tous les jours, on se demande comment cela peut fonctionner. Mais ça fonctionne et ça apporte du bonheur aux jeunes, aux clients qui viennent déjeuner. C’est quelque chose d’étonnant !

Ces jeunes sont heureux, sont les rois de la communication ?

Oui, c’est la première fois qu’ils sont mis en avant. Nous avons été reçus pour le prix de l’innovation à Marseille ; c’était la première fois que ces jeunes montaient sur une scène avec 400 personnes devant eux ; c’était exceptionnel. Et ces jeunes sont aujourd’hui au cœur de la ville.
Je pense par exemple à Thibaud reçu pour présenter le projet : il était rayonnant !
Je pense aussi à Sophie dont le papa, la première fois qu’il a entendu parler du projet m’a dit : « Je vais vous envoyer le CV de ma fille ! » Et j’ai répondu : « Monsieur, je ne recrute pas sur CV ! »
Je ne m’intéresse pas au handicap de la personne : on ne s’occupe pas de savoir si l’enfant est trisomique, autiste ou autre, mais on essaie toujours de s’adapter, on se débrouille et ça marche !

Ils ont la fierté du travail ?

Oui, ils sont dans un espace où ils sont reconnus ; ça c’était le premier des objectifs.
Le deuxième est de pouvoir, dans la mesure du possible, les rémunérer. Pour l’instant, on n’y arrive pas encore, il y a seulement Sophie qui est salariée, les autres sont bénévoles.
Le troisième objectif sera de leur permettre de trouver un hébergement, c’est à dire de pouvoir quitter papa et maman ; car la plupart de ces jeunes sont chez leurs parents.

Donc leur vie est transformée ; Quant aux clients, ils ont un autre regard et ils reviennent !

Exactement ! Je me souviens d’un restaurateur qui m’a dit avoir pris une claque en venant chez nous : « La préoccupation des jeunes ici, ce sont les jeux vidéo, le smartphone ou l’amoureux ; et bien, je me rends compte que ce sont les mêmes préoccupations que tous les jeunes. Je n’avais pas compris ça, mais c’est une évidence qu’on est tous différents et à la fois tous ensemble ! »

Où se situe exactement le restaurant l’Inattendu ?

En plein cœur de Carpentras, juste derrière la mairie, là où il y avait la pâtisserie Martichon. Nous sommes ouverts de 9h à 18h du mardi au samedi. Il est bon de réserver pour que nos jeunes puissent s’organiser.

Il y a petits déjeuners, déjeuners, et goûters ?

Exactement. Nous faisons aussi salon de thé. Pour le déjeuner, nous avons une formule : entrée/ plat/ café ou plat/ dessert/ café à 12,50 euros seulement. Le menus complet est à 15 euros. Et on a des plats du jour au gré des arrivages. On travaille vraiment à la demande ; donc on a souvent deux ou trois suggestions du chef, pas de carte particulière. Pour les légumes, c’est Vincent Martinez au bout de la rue, qui nous fournit. C’est toute une vie de quartier qui reprend grâce à cet établissement.

Combien êtes-vous ?

Il y a 12 jeunes, 25 bénévoles qui les encadrent, un chef de cuisine, des bénévoles en plus pour faire tourner la partie administrative de l’association. On a aussi beaucoup de généreux donateurs qui nous accompagnent et heureusement qu’ils sont là, car, sans eux, on n’aurait pas pu tenir.

Vous avez créé quelque chose !

Oui et on espère maintenant parler de l’Inattendu ailleurs qu’à Carpentras comme à Reims, Angers où j’ai présenté le projet récemment. On espère essaimer pour que des jeunes comme Paul-Gabriel et ses copains de l’association Paul & Co, puissent trouver leur place dans la société, partout en France et pourquoi pas à l’étranger !