700e anniversaire de l’arrivée des papes à Avignon : Homélies du Cardinal Poupard

12 mars 2009

8 mars 2009

Le 8 mars, le Cardinal Poupard, légat du Pape Benoît XVI, et président émérite du Conseil Pontifical de la Culture, présidait les Vêpres et la célébration eucharistique à la Métropole Notre-Dame des Doms. Voici le texte des homélies prononcées à cette occasion.

Homélies de son Eminence le Cardinal Paul Poupard,
Envoyé spécial de sa sainteté le Pape Benoît XVI
pour le VIIe centenaire du début du séjour des papes en Avignon (1309-1377)

Vêpres

Notre-Dame des Doms, 8 Mars 2009

Cher Monseigneur,
Chers Frères Prêtres,
Chers Frères et Sœurs en Jésus-Christ,

Laudate Dominum, omnes génies, cantate Domino !

Du premier au dernier chant de ces vêpres solennelles, c’est, avec le Magnificat de la Vierge Marie un hymne de louange qui monte de nos cœurs, en cette clôture liturgique de la célébration du VIIe centenaire du début du séjour des pontifes romains en Avignon. Les historiens s’attachent légitimement à énoncer, voire à dénoncer les agissements d’une papauté alors engoncée dans le temporel. A vrai dire, la conduite des affaires en ces temps lointains n’était pas plus limpide que l’enchevêtrement des causes et la passion des hommes, le choc des intérêts et la détresse des pauvres, en ce début incertain du troisième millénaire que nous vivons, partagés que nous sommes entre la crainte et l’espérance.

Mais un regard de foi nous fait privilégier, comme le pape Benoît XVI dans la Lettre autographe qui m’accrédite auprès de vous en cette célébration historique, l’action des papes d’Avignon pour la vie de l’Eglise, avec la célébration du concile de Vienne, la canonisation de saint Thomas d’Aquin, et l’affirmation du culte public de la sainte eucharistie qui est foyer d’amour irradiant au cœur de l’Eglise, au cœur du monde . Aussi est-ce avec jubilation que nous avons rendu grâces au Seigneur par les psaumes que nous avons chantés : "Le jour où paraît ta puissance, tu es prince éblouissant de sainteté. Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech". Etonnante conversation au cœur de la Trinité, du Seigneur au Seigneur, du Père à son Fils éternel, notre sauveur Jésus-Christ, né du sein de la Vierge Marie, ce Dieu qui est notre frère, ce frère qui est notre Dieu, pour le dire avec François Mauriac, en son français limpide si évocateur du mystère de foi que nous portons en des vases d’argile. Jésus est roi et prêtre tout ensemble, assis à la droite de Dieu, le vainqueur de l’Apocalypse, l’Agneau triomphateur du mal, du péché et de la mort.

Après le psaume 109, le psaume 113 qui, en sa première partie célèbre la sortie épocale d’Israël, de l’esclavage d’Egypte, se poursuit dans la partie que nous avons chantée par une profession de foi éclatante en laquelle nous faisons nôtre le chant de fierté et de confiance de la glorieuse épopée du peuple choisi qui s’avance, éclairé par la nuée lumineuse du Seigneur : cri de victoire, hymne à Dieu qui sauve Israël, et nous savons quelle autre délivrance, toute spirituelle, signifiait et préfigurait cette délivrance temporelle ! "Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, c’est ton nom qu’il faut glorifier, parce que tu es bon, parce que tu es fidèle" . Chers frères et soeurs, nous pouvons nous aussi lancer un défi aux forces du mal qui nous enserrent, aux idoles sans cesse renaissantes et sans cesse renouvelées au cœur de la cité et au creux de nos vies. Nous pouvons nous aussi faire confiance au Dieu fidèle et plein d’amour, Dieu de tendresse et de bonté, le Dieu vivant et vrai, qui a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils renferment.

Comme les papes d’Avignon l’ont chanté voici sept siècles, nous pouvons bien, nous aussi, reprendre avec foi et avec joie le chant d’action de grâces de la Vierge Marie en son Magnificat : "Mon âme exalte le Seigneur, Exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches, les mains vides.". L’expérience de la vie nous l’enseigne, emplie qu’elle est de joies et de peines, d’espoirs et aussi de déceptions porteuses de découragement. Seul l’amour ne trompe pas, cet amour éternel qui a pris chair dans le sein virginal et maternel de Marie à Nazareth. C’est notre vocation de chrétiens de répondre avec foi à l’amour de Dieu pour chacune et pour chacun d’entre nous, comme Marie à l’appel de l’ange, comme Jeanne d’Arc à ses voix, comme la petite Bernadette, voici 150 ans, au message de l’Immaculée en la grotte de Massabielle, à Lourdes.

Notre temps ivre de progrès est enivré de ses conquêtes prodigieuses, de la fission de l’atome à la conquête de l’espace. Mais il a aussi fabriqué la bombe atomique, pratiqué l’avortement et entraîné le monde entier dans une crise qui, pour être en ses débuts, bancaire et financière, est vite devenue économique avant d’être sociale, et d’atteindre de plein fouet les plus pauvres, qui sont sans travail et sans argent, sans considération et sans espoir.

La preuve du pain, disait notre poète Paul Claudel, c’est qu’il nourrit, et le bon pain est fait pour être partagé et non mangé en solitaire. Les hommes ont été créés par Dieu par amour, et Dieu vit que cela était bon, en contemplant l’œuvre de sa création. Mon saint patron, l’apôtre Paul que le pape Benoît XVI nous invite à méditer en cette année jubilaire qu’il lui a consacré, nous partage ce dît de Jésus : "II y a plus de joie à donner qu’à recevoir". Au faîte de leur puissance, les papes d’Avignon n’y ont jamais manqué, qui donnaient chaque jour à manger à un millier de pauvres. C’est un exemple qu’ils nous ont donné, et qui demeure exemplaire encore aujourd’hui.

"Aimer, c’est tout donner, et se donner soi-même", nous dit notre chère petite sainte Thérèse de Lisieux. Marie, en nous donnant son Fils bien-aimé, Jésus, nous a tout donné. En chantant au terme de cette célébration du VIIe anniversaire du début du séjour des papes en Avignon, la joie nous envahît, venue du cœur même de Dieu. Ces paroles inspirées sont des buissons ardents, des étoiles lumineuses au cœur de notre nuit. C’est le secret de tous les saints qui avec Marie ont chanté le Magnificat au cours des siècles et l’ont incarné dans leur vie donnée de prêtres et de religieuses,- comme Jeanne Jugan, fondatrice des petites sœurs des pauvres que le pape Benoît XVI va canoniser le dimanche 11 octobre prochain à Rome -, comme aussi dans leur existence de fidèles laïcs tant, de pères et mères de famille, emplis de cet amour de Dieu, qui nous donne de vivre tous les jours de la semaine avec un cœur endimanché.

Frères et sœurs, au terme de cette célébration historique, nous chantons avec Marie le Magnificat, en la priant en cette admirable église Notre Dame des Doms qui lui est consacrée, d’intercéder auprès de son divin Fils pour l’Eglise dont elle est la mère. Les siècles ont passé. Les eaux du Rhône n’ont cessé de couler sous le pont Saint Bénezet.

Les papes d’Avignon ont écrit une page d’histoire dont nous sommes les héritiers, avec, au premier chef, l’évêque de Rome, leur lointain successeur, le pape Benoît XVI, au nom duquel j’ai le privilège de vous donner la Bénédiction apostolique dont il m’a chargé pour vous, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Amen.

Célébration eucharistique

Notre-Dame des Doms, 8 Mars 2009

Cher Monseigneur,
Chers Frères Prêtres,
Chers Frères et Sœurs en Jésus-Christ,

L’Eucharistie qui nous rassemble et que j’ai la joie de présider au nom de notre Saint-Père le pape Benoît XVI a été instituée, nous enseigne le concile œcuménique Vatican II par "Notre Sauveur à la dernière cène, pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles jusqu’à ce qu’Il vienne, et en outre pour confier à l’Eglise, son épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection : sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité, banquet pascal dans lequel le Christ est mangé, l’âme est comblée de grâces et le gage de la gloire future nous est donné". Tout est dit du mystère eucharistique en ce bref condensé qui ouvre le chapitre 2 de la Constitution apostolique Sacrosanctum Conciltum sur la sainte liturgie confiée à l’Église, dont le même document conciliaire nous rappelle en son préambule qu’"il appartient en propre à celle-ci d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans Faction et occupée à la contemplation, présente dans le monde et pourtant étrangère. Mais de telle sorte qu’en clic ce qui est humain est ordonné et soumis au divin, ce qui est visible à l’invisible, ce qui relève de l’action à la contemplation et ce qui est présent à la cité future que nous recherchons".

Cet enseignement de l’Église place ainsi dans sa juste perspective de foi cette messe du 700e anniversaire de l’arrivée des papes en Avignon, pour lequel leur lointain successeur, Benoît XVI m’a fait l’insigne honneur de me désigner comme son Envoyé Spécial. En effet, le pape d’Avignon, c’est toujours le pape, et là où est le pape, là est Rome.

La Rome d’alors est en proie à un désordre croissant, sans cesse renaissant et sans cesse renouvelé. L’archevêque de Bordeaux, à peine élu pape, le gascon Clément V, effrayé par les troubles qui ne cessent d’agiter la Ville éternelle, s’installe en Avignon, hors du Royaume de France, mais à ses portes. Ses successeurs trouveront commode d’y demeurer et leurs noms nous sont familiers, qui évoquent des figures fortement contrastées. Jean XXII, Benoît XII, Clément VI, Innocent VI, le bienheureux Urbain V et Grégoire XI séjournèrent en Avignon à cause de l’insécurité permanente en laquelle la papauté se trouvait exposée en Italie. D’ailleurs, lorsque les papes eurent regagné Rome, Clément VII et Benoit XIII furent contraints par les événements de se réfugier à nouveau en Avignon. C’est dire que les pontifes qui se succèdent alors en Avignon sur les siège de Rome sont bien les chefs visibles de l’Église romaine. Leur résidence sur les rives du Rhône est un trait caractéristique - Oh combien ! -, mais elle ne change en rien la nature de leur fonction. Elle ne touche ni l’unicité de leur souveraineté ni l’universalité de leur magistère. C’est toujours le pape, il se trouve qu’il est à Avignon au lieu d’être à Rome, et c’est le cas de redire avec lui : Rome n’est plus dans Rome, elle est tout où je suis.

Chers frères et sœurs en Jésus-Christ, ceci dit, et cela devait l’être pour honorer l’histoire, comment ne pas souligner la sagesse de Bertrand de God, l’Archevêque de Bordeaux, sujet du Capétien et fidèle du Plantagenêt, qui décide se fixer provisoirement à Avignon. La ville lui offrait des garanties exceptionnelles d’indépendance et de sécurité, car ses maîtres, les princes de mon Anjou natal, n’étaient pas à redouter ; et d’autre part - ne faisons pas d’anachronisme - la ville, avant d’être rachetée par Clément VI à la Reine Jeanne de Sicile, Comtesse de Provence, se trouvait enclavée dans le Comtat Venaissin qui était alors l’apanage du Saint-Siège. Ce furent alors des constructions remarquables : le Palais des Papes, les remparts, la rééducation de nombreuses églises et la création de nombreux collèges, qui firent d’Avignon, au dire des contemporains, une des merveilles de l’Europe. Dans l’histoire de l’Église, comme dans celle de l’Europe, Avignon demeure une exception. Si les papes d’Avignon ont été vus comme des papes français, parler d’une papauté française, souligne à bon droit Jean Favier, est sans doute excessif. S’il est bien difficile de démêler l’écheveau compliqué de l’imbrication des affaires temporelles, force est de constater que tout au long de leur séjour les papes d’Avignon n’ont jamais cessé de parler de Rome et du retour à Rome, dont l’évêque, successeur de l’apôtre Pierre qui y subit le martyre accomplit son service de l’Église universelle,

C’est tout le sens des textes liturgiques pour cette messe anniversaire, à commencer par la première lecture, l’histoire d’Abraham, notre père dans la foi. Avec lui commence à surgir dans l’histoire un peuple qui reçoit la mission de témoigner du projet de Dieu pour toutes les nations de la terre. Ce cheminement commence par la foi et se poursuit dans la foi. Abraham répond à l’appel de Dieu, il prend le risque de le suivre sans restriction et il reçoit la promesse d’une bénédiction pour toutes les nations de la terre : nous sommes tous les fils bénis d’Abraham.

La seconde lecture, tirée des Actes des Apôtres, est la guérison par Pierre de l’infirme de la belle porte du temple de Jérusalem au nom de Jésus-Christ : « lève-toi et marche »,’ symbole de l’humanité que nous sommes, blessée par le péché » mais relevée par la grâce, nous faisons monter vers Dieu notre louange de gratitude.

Jean, l’apôtre bien-aimé, nous rapporte en son évangile, l’apparition du Christ ressuscité au bord du lac de Tibériade : Pierre entraîne à sa suite les apôtres désœuvrés, monte dans son bateau pour reprendre avec eux son métier de pêcheur. Mais c’est sans compter sur le Christ Sans lui. c’est la nuit. La mer semble sans poissons et la fatigue des pêcheurs, stérile et inféconde. Mais au levé du jour, Jésus est là, il leur indique comment jeter le filet et ils n’arrivent pas à le ramener tellement il y avait de poissons.

Jésus le leur avait bien dit : "vous serez pêcheurs d’hommes". Il confie à Pierre la mission d’être pasteur de ses frères, ce n’est pas un pouvoir de domination, mais une mission de service, un service d’amour, Pierre est peiné, parce que Jésus lui demande par trois fois : "m’aimes-tu ?", lui rappelant ainsi son triple reniement aux heures sombres de la passion. La question réitérée de Jésus, par la triple protestation d’amour qu’elle suscite et la triple promesse qu’elle entraîne, le guérit de la crainte qui pouvait l’envahir au souvenir de sa faute. Pêcheur pardonné, c’est dans les larmes qu’il s’ouvre au mystère de son ministère, toujours lié à l’affirmation réaliste de sa faiblesse. Il fallait que dans son chef visible soit vaincu la tentation de l’Église demeurée au long des siècles.

L’Église ne tient pas par sa force terrestre, ni la papauté par le prestige de son titulaire. Elle est tout entière mystère de grâce-

Frères et Sœurs nous méditons dans la foi ces textes de la sainte Ecriture an cœur de cette célébration centenaire du début du séjour des papes en Avignon. Les temps ont changé, les royautés se sont clairsemées, les empires se sont disloqués, les états pontificaux ont disparu, l’Église demeure, car elle a reçu de Jésus les promesses de son assistance, tous les jours, jusqu’à la fin des siècles, sous la guide de Pierre chargé de confirmer ses frères dans la foi. C’est pour le Saint-Père, pour ses prédécesseurs d’Avignon et pour leur successeur, Benoit XVI aujourd’hui, que nous offrons le sacrifice de la messe de Jésus Sauveur.

Rendons grâces au Seigneur qui ne cesse de guider son Eglise au milieu des vicissitudes des temps. Les sept papes qui se sont succédé sur la chaire de saint Pierre et ont résidé de façon plus ou moins continue sur les bords du Rhône en Avignon, n’ont cessé de servir l’Eglise, chacun à sa manière, et certains avec vertu, tel Urbain V reconnu Bienheureux. Les uns et les autres, tous se sont attachés avec un bonheur inégal à pacifier l’Europe, et singulièrement l’Italie, à réformer les Ordres religieux, et à répandre l’Evangile dans le monde. Ils furent bien sûr des hommes de leur temps, avec toutes leurs limites, mais dans la conscience,, toujours, de servir l’Eglise, notre sainte mère l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique.

"Nous t’en prions, Dieu tout puissant, que ton Eglise demeure toujours ce peuple saint, tenant son unité de toi qui es, Père, Fils et Esprit. Qu’elle soit au milieu du monde le signe de ta sainteté, le sacrement de l’unité et le ferment d’un plus grand amour entre tous".

Amen