Homélie des voeux aux prêtres et aux diacres

8 janvier 2020

Pertuis, 7 janvier 2020

Je vous offre mes vœux pour la dernière fois comme archevêque d’Avignon. Je voudrais vous dire merci à tous pour ce que vous êtes et ce que vous faites à travers votre ministère dans un monde souvent dur vis-à-vis de l’Église. Merci aussi à nos anciens qui à Béthanie ou ailleurs continuent à prier pour notre Église diocésaine et à offrir leurs souffrances pour la vie de notre Église.

Au lendemain de ma nomination comme archevêque d’Avignon, un ancien a eu ce bon mot : « un évêque, c’est toujours un don de Dieu, ce n’est pas toujours un cadeau ! », un mot qui a vite fait le tour des presbytères jusqu’à revenir à mes oreilles.
Pourtant ma grande joie a été de découvrir le diocèse, cette terre de Provence que je ne connaissais qu’à travers mon ministère dans le doyenné de Carpentras, à Saint-Siffrein, à Sault de Vaucluse puis à Aubignan et Gigondas. Joie de rencontrer les prêtres, les chrétiens et tout ce qui se vivait dans chacune de nos paroisses, souvent sans faire de bruit. 

Joie de découvrir le pèlerinage à Lourdes auquel je n’avais jamais participé et je peux dire que depuis toutes ces années, j’ai eu beaucoup de plaisir à accompagner le pèlerinage diocésain et le pèlerinage de l’hospitalité, à découvrir émerveillé toutes les générations d’hospitalières et d’hospitaliers qui rayonnaient auprès des malades pour qui le pèlerinage était souvent leur rayon de soleil de l’année.
Joie des premières visites pastorales dans les doyennés, heureux de découvrir comment les prêtres, chacun avec son tempérament et son charisme donnait le meilleur de lui-même pour annoncer Jésus-Christ et cheminer avec le peuple qui lui était confié dans l’humilité et en vérité.

En même temps, en lien avec le conseil épiscopal, nous avons fait le tour des points importants à aborder en demandant au Seigneur de nous montrer le chemin qu’il voulait pour notre Église : notre presbyterium était vieillissant et les autochtones de moins en moins nombreux, les maisons religieuses étaient pour la plupart vieillissantes et annonçaient les unes après les autres leur départ. Au moment même de ma nomination, j’avais reçu mission de faire la lumière sur la situation du séminaire et de chercher des solutions. Parallèlement, plusieurs cardinaux européens avaient lancé l’idée de congrès sur la nouvelle évangélisation dans les grandes capitales européennes et Jean-Paul II puis Benoît XVI y insistaient avec force.
Quand nous sommes partis à Vienne pour le premier congrès, un vieux prêtre avignonnais plein d’humour, le père Morel a dit : « maintenant la pastorale se vit au rythme de la valse viennoise, mais comme notre bilan à nous n’est pas aussi brillant que nous l’aurions voulu, faisons confiance, nous jugerons aux actes. »
Aujourd’hui après plus de dix-huit années de ministère épiscopal, je suis tenté de dire avec Paul : « J’ai servi le Seigneur dans les larmes et au milieu des épreuves. » Je n’ose pas dire pour l’instant ce que Paul affirme également “en toute humilité”, cela vous paraîtrait de l’orgueil et pourtant, je crois pouvoir le dire avec lui, et je vous expliquerai pourquoi.

La décision d’une visite canonique du séminaire régional, puis l’impossibilité où nous fûmes, tous les évêques de la région, de nous mettre d’accord sur un corps professoral renouvelé, qui était la condition posée par les visiteurs pour pouvoir continuer à faire vivre un séminaire interdiocésain ont conduit à sa fermeture. Cette décision a été douloureuse et beaucoup ont pensé que j’en étais à l’origine. Je crois cependant pouvoir dire qu’il s’est agi d’une décision collective. Moi-même je l’ai prise dans la souffrance et les larmes et je sais que beaucoup de prêtres du diocèse ont porté avec tristesse cette fermeture.

Depuis, nos séminaristes vont soit au Studium de Notre-Dame de Vie - actuellement neuf séminaristes y dépendent du diocèse -, soit à Ars où il y a une année de propédeutique, soit à Toulon qui garde une belle dynamique missionnaire ; nous ne pouvons que nous réjouir de cette solution et des formations données.

Devant le nombre décroissant de prêtres au service du diocèse, avec le conseil épiscopal, j’ai décidé de faire appel à des prêtres venant d’autres Églises, puisque Jean-Paul II puis Benoît XVI avaient demandé aux évêques qui avaient de nombreux prêtres d’être prêts à partager avec les Églises qui étaient dans le besoin. Pour cela, j’ai fait un voyage en Pologne, un au Brésil, un en Afrique de l’ouest et enfin un au Vietnam. Partout, j’ai reçu un authentique accueil fraternel.
Je pense à cet évêque vietnamien qui m’a dit : « Vous nous avez apporté l’Évangile il y a des siècles, aujourd’hui vous avez besoin d’aide, il est naturel que nous répondions positivement à votre appel. Dans plusieurs Églises d’Afrique de l’ouest ce fut la même réponse et de même en Amérique latine. Je pense aussi à l’ancien évêque de Rzeszów qui m’avait dit : « je ne veux pas vous “prêter” un ou deux prêtres, mais allez au séminaire et parlez aux séminaristes ; ceux qui voudront commencer leur ministère en venant travailler chez vous, je les laisserai volontiers partir pour quelques années et créer ainsi un vrai partenariat avec votre Église. » Quelle joie d’accueillir Lukasz, Michal et tant de confrères venus d’autres Églises et nous apportant toute la richesse de leur Église. Je n’oserais pas citer toutes celles qui ont participé à cette entraide fraternelle, j’aurais trop peur d’oublier l’une ou l’autre. Je rappellerai quand même qu’avec le conseil épiscopal, nous avions hésité à appeler soit les pères de Saint-Martin, soit les prêtres du Chemin néocatéchuménal et que le Conseil avait opté pour les prêtres du Chemin.

Devant le départ de tant de communautés religieuses vieillissantes qui toutes me disaient : nous sommes trop âgé(e)s, nous devons nous regrouper et nous allons à regret quitter le diocèse, je ne pouvais accepter de voir disparaître la vie consacrée qui tient une si grande place dans la vie de nos Églises. Dans ma prière j’ai reçu la certitude qu’il ne fallait pas avoir peur de faire appel à des communautés nouvelles ou à de jeunes congrégations. J’ai repris mon bâton de pèlerin, et aujourd’hui, je rends grâce pour toutes celles qui ont répondu positivement à mon appel : les carmélites messagères de l’Esprit Saint insérées en paroisse à Orange-Caderousse, les sœurs amantes de la Croix de Caïmon insérées dans l’enclave, les sœurs de Notre-Dame de l’Incarnation au service de la Métropole, les sœurs de la communauté Mère du divin Amour insérées dans le secteur interparoissial de l’Isle-sur-la-Sorgue, les sœurs franciscaines de la présentation de Marie de Coimbatore au service de Béthanie, les sœurs de Saint-Paul de Chartres insérées à Pertuis lieu de naissance de leur fondateur, les sœurs missionnaires de la Mère de Dieu du Mexique insérées dans le secteur interparoissial de Mazan. Enfin les sœurs augustines du Bénin qui viennent d’arriver à Lauris pour remplacer les petites servantes de l’Immaculée qui nous ont quittés. Sans oublier bien sûr toutes les congrégations qui poursuivent leur mission dans la vie de notre diocèse comme les Trinitaires, les filles de Notre-Dame des Douleurs, les sœurs de Saint-François d’Assise, les Xavières et les communautés qui humblement restent présentes dans le diocèse et rendent de nombreux services, dont d’abord celui de la prière : les Augustines de Meaux, les Dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne, les filles de la Charité, les petites sœurs de Jésus, les sœurs de l’Immaculée Conception, les sœurs de Nazareth, les sœurs de Saint-François de Lons-le-Saunier. Quelle richesse de grâce pour notre Église diocésaine !

Mais il y a aussi les communautés masculines arrivées il y a quelques années : la famille missionnaire dialogue de Dieu (FMDD) qui rayonne son dynamisme missionnaire bien au-delà d’Avignon, les carmes messagers de l’Esprit Saint présents à Monteux et Althen, les frères de la Congrégation Saint-Jean à Saint-Ruf et les frères de la Communauté Mère du divin Amour dans le secteur de l’Isle sur la Sorgue.

Enfin, il faut souligner l’importance de la vie monastique dont la présence est vitale au cœur de notre Église diocésaine.
Sans compter les communautés nouvelles : Shalom, Palavra Viva, Pantokrator et une réalité nouvelle, le Chemin néocatéchuménal. Et les instituts séculiers qui apportent leur spécificité à la vie de notre Église, en particulier Notre-Dame de Vie qui rayonne avec ses trois branches féminine, masculine et sacerdotale insérées dans la vie séculière.

Nous avons proposé un véritable partenariat aux évêques des jeunes Églises qui nous prêtent des prêtres : ils nous aident dans la vie paroissiale pendant quelques années et - avant ou après - nous prenons en charge une formation qui leur permet d’apporter un plus à la vie de leur Église lorsqu’ils rentrent au pays. C’est notre manière d’aider les jeunes Églises, d’autant plus que souvent, sur place, ils mettent en route des liens d’entraide source d’une véritable fraternité.
En cette dernière année de mon ministère épiscopal à Avignon, je rends grâce pour toutes les ordinations de prêtres diocésains ou religieux ou de communautés nouvelles que nous avons vécues toutes ces dernières années. Elles nous donnent aujourd’hui un presbyterium qui a retrouvé une nouvelle jeunesse avec une pyramide d’âge redevenue normale.

Tous ces changements ont entraîné des réactions au cœur du diocèse. Mes limites et mes défauts y ont certainement également contribué, inutile d’insister, vous les connaissez bien ! Je voudrais demander pardon à tous ceux que j’ai pu blesser par mon tempérament et mes maladresses ou qui ont pensé qu’il n’y en avait que pour les prêtres étrangers. Je demande vraiment pardon à tous ceux qui ont pu penser cela et qui n’ont pas vu que je voulais seulement permettre à toutes nos paroisses et à notre Église de vivre vraiment.

J’ai eu la joie de rencontrer personnellement le pape Benoît XVI qui m’a reçu à ma demande : après m’avoir écouté, il m’a encouragé dans mon ministère épiscopal en me disant : “vous avez été certainement un peu vite pour faire bouger les réalités, mais en même temps il faut toujours profiter des premières années pour le faire ; maintenant il vous faut travailler à intensifier la communion avec les prêtres et les chrétiens de votre diocèse. » Il m’a d’ailleurs renouvelé son soutien quelques mois plus tard.

Je rends grâce également pour le travail qui a été opéré pour mettre en œuvre cette nouvelle évangélisation dont l’Église ne cessait de nous rappeler l’importance sans que ce soit pour autant une remise en cause de la pastorale traditionnelle, mais au contraire une dimension complémentaire indispensable.

Je rends grâce aussi pour la journée des fiancés qui est devenu un rendez-vous important de tous ceux qui se préparent à recevoir le sacrement du mariage. D’Avignon, ces rencontres ont rayonné progressivement dans de nombreux diocèses de France.

Je pense aussi à la journée “l’évêque invite les veuves et les veufs” ou encore à celle “l’évêque invite les divorcés remariés”, que de grâces reçues et partagées durant ces journées, des grâces complémentaires de toutes celles reçues en paroisse.

Il y a eu les retraites diocésaines à Paray-le-Monial chaque année début février animées par le Père Paco et moi-même. Que de beaux moments de grâce pour notre Église ! Au retour dans le bus, le récit des merveilles accomplies par Dieu dans nos cœurs, nous remplissaient tous de joie.

Il faudrait parler de l’enseignement catholique où dès le début de mon épiscopat, j’ai voulu apporter une vigueur nouvelle au niveau de la foi. Une première charte a fait l’effet d’une bombe qui m’a valu de nombreux courriers aussi contradictoires que possible. J’ai réécrit personnellement une nouvelle charte pour recentrer l’essentiel de l’enseignement catholique sur la figure du Christ modèle de pédagogie. Grâce au directeur diocésain et à son équipe, un beau chemin a été parcouru, même s’il reste encore beaucoup à faire pour redonner à l’enseignement catholique sa vraie dimension d’apprentissage de la vie en Christ.

La mise en place depuis près de quinze ans du pèlerinage des professions de foi à Lourdes a porté des fruits inattendus, les jeunes étant touchés par la sainte Vierge à travers les piscines, le chemin de croix et toute la grâce de Lourdes ; la vie dans les aumôneries s’en est ressentie.

Il y a eu la mise en place des retraites de confirmations auxquelles j’ai participé pendant près de dix ans aux côtés des jeunes prêtres ; elles ont porté et portent de beaux fruits de grâce.

Les pélé-VTT ont pris très vite leur place dans la vie de notre diocèse et aujourd’hui, ils sont incontournables et je voudrais remercier tous les laïcs et les prêtres qui s’y impliquent avec joie pour beaucoup.
Aujourd’hui, un travail se poursuit pour former les “staffs” et avoir ainsi un bon groupe de jeunes adultes qui progressivement prennent leur place dans la vie du diocèse.

Impossible aussi d’oublier la naissance du “CrossMédia”, un outil merveilleux au service de tous avec RCF et l’ensemble des médias, et tous ceux qui le mettent en œuvre.

Je pense enfin aux pèlerinages avec les jeunes prêtres qui nous permettent de créer une authentique communion entre tous ; d’ailleurs dans quelques semaines nous partirons en terre sainte ensemble.

Une grande joie a été d’arriver à faire passer une réforme qui pour moi était essentielle et demandée par le magistère de l’Église : redonner à la confirmation sa place et son importance. Pour être chrétien, il faut avoir reçu le baptême et la confirmation, inséparables dans leur unité et l’eucharistie qui est le sommet de l’initiation chrétienne, il nous est donné de devenir celui que nous recevons.

Je souhaiterais bien évidemment que la Parole de Dieu retrouve sa place vitale dans la vie de tous les baptisés, car si nous la laissons s’incarner en nous, alors elle vient nous transfigurer en Christ.

S’il fallait dire un mot sur le plan financier, la Providence a toujours veillé : nous avons pu vendre l’ancien archevêché et restaurer la maison diocésaine pour plus de 5 millions d’euros, un merveilleux lieu de vie et de travail pour tous. Nous avons pu multiplier les travaux dans les presbytères (20 millions environ sur près de 15 années) avec près de 800 000 euros investis chaque année. Nous avons pu racheter le Carmel de Carpentras, le monastère des sœurs du Christ à Orange. Aujourd’hui, nous finissons la construction d’un séminaire “Redemptoris Mater” pour près de quatre millions d’euros, n’ayons pas peur la Providence veillera. Il est tellement important de former des prêtres pour notre Église.

Sur ce plan financier, je tiens à remercier l’économe diocésain et l’équipe qu’il a su mettre en place autour de lui et qui nous a régulièrement conduits à travailler de plus en plus avec une authentique professionnalité. Aujourd’hui, ils nous disent qu’il est nécessaire de reconstituer les réserves tout en diminuant un parc immobilier que nous ne pouvons ni habiter ni entretenir et qui se dégrade immanquablement. Il y a des immeubles qu’il vaut mieux vendre en assez bon état qu’à l’état de ruines pour évidemment une bouchée de pain. N’ayons pas peur et faisons-leur confiance.

Il y a bien sûr bien d’autres choses que j’aurais aimé mener à leur terme, mais je compte sur mon successeur pour continuer l’œuvre commencée : « Paul a semé, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui donne la croissance ». Je lui fais totalement confiance, nous ne sommes que des serviteurs et des serviteurs qui ne font que ce qu’ils ont à faire.

Je voudrais également remercier les conseils épiscopaux et les vicaires généraux qui m’ont aidé tout au long de ces années, je remercie également tout le personnel de l’archevêché qui accomplit un travail formidable et cela dans l’ensemble des services, de la gestion de la maison diocésaine à la comptabilité, l’immobilier, et ma secrétaire qui a appris à me supporter et qui m’est devenue une aide plus que précieuse.

Pour finir, je voudrais revenir à la citation de Paul lors de ses adieux aux Chrétiens d’Éphèse et vous expliquer pourquoi j’ose faire miens ces mots de Paul : « J’ai servi le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et au milieu des épreuves. »

L’humilité est le fruit de l’expérience, il faut être passé par l’école des larmes, des épreuves, des humiliations et de l’expérience qui, en nous faisant prendre conscience de notre faiblesse, de nos péchés, de nos limites, nous remet à notre juste place et nous libère de toute présomption.

L’humilité est transparence du divin qui vit en nous, une transparence christologique du Christ serviteur, humble, humilié et qui a choisi d’être le serviteur de tous. L’humilité de Paul est celle du Christ qui vit en lui. Voilà le chemin qu’il nous montre à chacun et chacune de nous, pour mettre en œuvre notre charge dans l’humilité du Christ en nous laissant habiter par lui.

Au moment où trop souvent l’Église est montrée du doigt et se débat dans bien des affaires, je voudrais dire et redire : “L’Église est belle, elle vit au rythme de l’Esprit Saint, elle a à ses côtés la Vierge Marie, elle est la source de la Vie pour l’humanité tout entière, nous en sommes tous les témoins, des témoins qui ont pour mission de respirer la joie et l’espérance au cœur de notre monde d’aujourd’hui.

Je souhaite passer une dernière année avec vous dans cette lumière et quand je quitterai le diocèse, je me mettrai au service du Chemin Néocatéchuménal, mais j’aurai pour objectif essentiel la prière à l’école de Charles de Foucault et du bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant Jésus, la rumination de la Parole de Dieu et la prière du publicain qui au fond du Temple redisait : « Seigneur aie pitié du pécheur que je suis ! »

Bonne année à tous dans la joie de Dieu et surtout je me confie à votre prière.

+ Jean-Pierre Cattenoz