L’arrivée des Papes en Avignon

2 mars 2009

Extrait de « La Métropole Notre Dame des Doms », de André Reyne et Daniel Bréhier, Imprimerie Beaulieu

L’arrivée des papes et leur installation progressive en Avignon vont contribuer à son développement et faire de la ville la seconde de France, après Paris.

Ce sont les circonstances politiques dans la péninsule italienne et spécialement à Rome qui amenèrent Clément V, pape français, nouvellement élu à Pérouse, à venir en Avignon. Il continuait ainsi, sans doute sans l’avoir voulu, la tradition de la papauté itinérante des XIIe et XIIIe siècles. En effet, entre 1100 et 1304, les papes étaient restés 122 ans hors de Rome. Il est même probable qu’Urbain IV (1261-1264) et Clément IV (1265-1268) ne soient jamais allés dans la ville éternelle. Jusque là les papes itinérants ne s’étaient déplacés qu’avec une suite restreinte. Le fait nouveau c’est que le pape, avec toute sa curie, se fixait hors d’Italie. Mais pourquoi avoir choisi Avignon ?

Depuis 1290, la ville, "en France, mais hors de France", appartenait à un vassal du Saint-Siège, Charles d’Anjou, roi de Naples. L’Eglise romaine s’était vu attribuer le Comtat Venaissin par le traité de Paris de 1229, et en plénitude comme état temporel, en 1274. Le Comtat était bien pourvu en places fortes : les papes s’y retrouvaient donc chez eux et en sécurité. A Rome, résidence traditionnelle des papes, les factions qui avaient empoisonné le pontificat de Boniface VIII étaient toujours actives et ce ne sont pas les ambassades romaines, qui à chaque nouvelle élection viendront à Avignon pour solliciter le retour du pape dans la ville éternelle, qui réussiront à infléchir le cours des événements.

N’oublions pas que le pape français Clément V est élu durant le conflit qui oppose la France à l’Angleterre. Aussi, juge-t-il utile de s’établir dans une ville d’Empire, afin de régler si possible ce conflit si dommageable à la Chrétienté, Avignon étant aux portes de la France. Il entend aussi régler le différend entre la papauté et le roi Philippe le Bel, ainsi que la succession de l’empereur germanique, en étant sur une terre d’Empire. Cette situation comportait toutefois quelques risques, entre autres celui d’une influence d’un pouvoir royal si proche sur les affaires de l’Eglise. Il est certain que les pontifes avignonnais essayeront de garder un grand esprit d’indépendance à l’encontre de quelque puissance que ce soit et de promouvoir la paix entre les souverains chrétiens.

Mais la décision perçue comme une nécessité de s’établir en Avignon, sera à terme lourde de conséquences. La sédentarité dans un climat plus serein sera bénéfique à la réorganisation et à la modernisation de la curie et de l’Eglise. En éloignant le pape de son lieu traditionnel de résidence, vont surgir de nouveaux problèmes. L’Italie sera abandonnée à des désordres grandissants qui iront, à certains moments, jusqu’à l’anarchie. La proximité de la présence française, malgré la volonté d’indépendance des papes, pèsera sur certaines décisions papales et gênera les puissances jalouses de la France. D’autre part, l’installation en Avignon favorisera la prédominance de l’élément français à la cour pontificale.

Evoquant cette situation, certains historiens, à la suite de maints écrivains italiens contemporains et postérieurs, se sont montrés très sévères et même injustes envers la papauté avignonnaise, parlant de l’éloignement de Rome comme d’un exil ou encore d’une "Captivité de Babylone". Il y a plus de rancœur que de vérité dans certaines appréciations, comme nous le verrons plus loin. Après les nombreuses études et recherches historiques sur la papauté avignonnaise, qui ont marqué ces dernières décennies, il ressort que de nobles motifs l’ont guidée qui n’étaient pas simplement d’ordre politique ou politicien. Ils visaient en premier lieu la nécessité vitale de réorganiser l’administration de l’Eglise dans un contexte de sécurité, de paix et de plus grande indépendance, mais aussi de favoriser l’évangélisation en donnant à l’Eglise un élan missionnaire.

Hommes de grande culture théologique, canonique et humaniste, les papes d’Avignon furent tous, peu ou prou des protecteurs éclairés des arts et des lettres, appelant à la cour d’Avignon des érudits et des savants, comme Philippe de Cabassole, l’évêque de Cavaillon, son ami Pétrarque, grand poète et connaisseur de l’Antiquité, Jean Coti, évêque de Saint - Paul-Trois-Châteaux, grand spécialiste de Cicéron, le poète Zanobi de Strada, traducteur de saint Grégoire. La liste n’est pas exhaustive et il faudrait y ajouter Coluccio Salutati, Francesco Bruni ... et tant d’autres artistes que nous retrouverons au fil de ces pages. La cour d’Avignon est l’un des foyers les plus actifs d’un mouvement qui prépare et annonce l’humanisme de la Renaissance. Nous aurons confirmation de ce fait pour chacun des pontifes avignonnais qui ont régné durant cette période pendant laquelle Notre-Dame des Doms sera souvent le cadre privilégié d’événements exceptionnels.

LES PAPES D’AVIGNON ET LA CATHÉDRALE

Clément V

Bertrand de Got naquit en 1264 à Villandraut en Gironde. Il eut une formation juridique à Bologne et à Orléans. Grâce à l’appui de son oncle Beraut, archevêque de Lyon, il obtint le titre de chapelain pontifical, un canonicat et la charge de sacriste à la cathédrale de Bordeaux. Il fut promu évêque de Comminges le 28 mars 1295 puis archevêque de Bordeaux le 23 décembre 1299, ce qui lui permit de s’attribuer, non sans contestations, le titre de "primat d’Aquitaine". C’est au cours de la visite de sa province ecclésiastique qu’il apprit, le 19 juin 1305, son élection au souverain pontificat, faite le 5 juin précédent.

La situation était alors délicate dans l’Eglise et entre les princes chrétiens. Connaissant son esprit conciliant, ses solides bases juridiques et ses bonnes relations avec les rois de France et d’Angleterre, les cardinaux réunis à Pérouse le choisirent dans l’espoir qu’il saurait aborder et régler maints problèmes ecclésiastiques et politiques. Le 14 novembre 1305, il fut couronné à Saint-Just de Lyon.

Très vite, Clément V fit connaître son projet de ramener la papauté à Rome, sitôt la paix revenue entre la France et l’Angleterre, et la reprise de la préparation de la croisade contre les Turcs. On peut remarquer qu’il ne s’installa jamais d’une façon stable et permanente en aucune résidence. Il avait élu son quartier général chez les dominicains d’Avignon et de là il rayonnait, étant tantôt à Monteux, où existe encore une tour appelée "tour clémentine", plus souvent encore à Malaucène dans la communauté bénédictine de Notre-Dame du Grozeau.

Philippe le Bel le poussa à reprendre sans délai le procès contre la personne de son prédécesseur immédiat Boniface VIII. Le pape tergiversa. Le 13 octobre 1307 éclata l’affaire des Templiers qui, sur l’ordre du roi, furent arrêtés dans tout le royaume. Clément V convoqua alors un concile général à Vienne, en Dauphiné et pour garder une plus grande liberté, il se retira en Avignon, le 9 mars 1309, résidant tantôt à l’évêché, tantôt chez les dominicains.
C’est à ce moment que sa santé s’altéra, en grande partie à cause des préoccupations très lourdes et des graves soucis qu’il portait. Après le concile de Vienne, il resta donc en Avignon, plus par nécessité que par désir.
Son pontificat fut marqué par une nette centralisation. On le comprend facilement en voyant le contexte du gouvernement de l’Eglise. En effet, depuis des décennies la curie pontificale vivait dans le provisoire de continuels déplacements, dont les conséquences s’avéraient désastreuses pour la vie de l’Eglise. Au concile de Vienne il défendit avec une grande fermeté les droits de l’Eglise, affirmant la suprématie du pouvoir pontifical sur la puissance séculière des princes et des rois. C’est pour mieux le manifester qu’il ajouta la troisième couronne à la tiare pontificale.

Dans le domaine de la jurisprudence, on lui doit la publication d’un septième livre de décrétales ou "Clémentines". En matière inquisitoriale, il voulut affermir les droits des prévenus et réglementer les peines et châtiments par les constitutions "Multorum querela" et "Nolentes".
Il remit en vigueur la bulle « Super Cathedram », par laquelle Boniface VIII tentait de régler le conflit entre le clergé séculier et les ordres mendiants, au sujet des prédications, de la célébration des sacrements et des sépultures. Il intervint aussi dans le conflit qui opposait deux branches de l’ordre franciscain : les Conventuels et les Spirituels. Par le décret "Exivi de Paradiso" du 5 mai 1312, il précisait certains points contestés dans la pratique de la règle de saint François d’Assise, entre autres : le modèle de pauvreté laissé par le Christ aux hommes était-il compatible avec le droit de propriété des clercs ? La dispute qui avait pour objet le problème de la pauvreté, mitigée pour les Conventuels, radicale jusqu’à prôner la mendicité habituelle pour les Spirituels, reprendra plus fortement que jamais sous le pontificat de Jean XXII.

Il augmenta considérablement le nombre des cardinaux français, assurant ainsi leur prépondérance au sein du Sacré-Collège. Sur les vingt quatre qu’il créa, vingt trois étaient français et sur ce nombre treize étaient gascons !
Sa politique fiscale, profondément marquée par la volonté de sauvegarder l’autonomie du Saint-Siège et la préparation d’une prochaine croisade, fut diversement comprise. S’il ne fut pas un pontife fastueux et grand seigneur, on peut toutefois lui reprocher d’avoir trop favorisé les membres de sa famille et d’avoir pratiqué un certain népotisme. C’est une ombre au tableau du pontificat de ce pape par ailleurs digne et pieux.

Si dans sa politique européenne il usa surtout de conciliation, on lui reprochera souvent ses tergiversations et ses expédients. Le patrimoine de Saint-Pierre en supporta à maintes reprises les conséquences, les puissances laïques italiennes, ne cessant pas de le rogner à leur profit.
On peut inscrire à son actif qu’il fut un pape missionnaire, établissant la hiérarchie en Chine ou se trouvaient déjà plus de 30 000 chrétiens évangélisés par Jean de Montecorvino, qui sera d’ailleurs sacré archevêque de Pékin, en 1307. C’est toujours dans une visée missionnaire, qu’en 1312, il décréta la création de chaires d’Arabe, de Grec, de Chaldéen et d’Hébreu, dans les universités de Paris, Oxford, Cologne et Salamanque, comme l’avait demandé au concile de Vienne le savant Raymond Lulle.
Son pontificat reste toutefois grevé par la liquidation du procès de Boniface VIII, obtenue par le despotisme du roi Philippe le Bel, mais encore plus par la condamnation de l’ordre du Temple au concile de Vienne. En face des pressions exercées par ce même roi, Clément V fit preuve d’une grande faiblesse.

N’oubliant pas qu’il était pontife romain, il fit d’importantes réparations à la basilique et au palais du Latran à Rome. Ses perpétuels déplacements liés à l’instabilité de sa situation, ne lui permirent pas d’imprimer une marque profonde aux arts et aux lettres.

S’il décida, le 26 juillet 1309, que la cérémonie du couronnement de l’empereur Henri de Luxembourg serait célébrée le 2 février 1312 à Saint­Pierre de Rome, c’est à Notre-Dame des Doms qu’il couronna Robert le Boiteux, roi de Naples, le premier dimanche d’août 1309, ou, d’après certains auteurs, le 8 septembre suivant.
C’est encore à Notre-Dame des Doms que le pape fit célébrer pour la première fois la fête du Saint-Sacrement ou Fête-Dieu. Celle-ci, instituée en 1264 par son prédécesseur Urbain IV, avait été confirmée par le concile de Vienne. Cette innovation liturgique, qui allait connaître un développement exceptionnel, y revêtit un éclat considérable. Dans cette même cathédrale des Doms, il canonisa l’un de ses prédécesseurs sur le Siège apostolique, le pape Célestin V, le 5 mai 1313. Pour la circonstance le pape siégeait sur une estrade située derrière le maître-autel, tandis que les hauts dignitaires tous en habits blancs siégeaient, eux, sur de simples bancs. Clercs et fidèles étaient assis à même les dalles. Pendant la messe solennelle, brûlèrent 2000 torches et 5000 bougies qui devaient probablement répandre une chaleur à peine tolérable.

Sa santé fragile, (il souffrait d’un cancer à l’estomac ou à l’intestin), explique sans doute les faiblesses de son caractère, une certaine irrésolution et un manque de combativité en diverses circonstances. Ayant projeté d’aller dans son pays natal pour se reposer et y refaire, pensait-il, sa santé, il mourut à Roquemaure, le 20 avril 1314. Il fut inhumé dans la collégiale d’Uzeste qu’il avait fondée et choisie pour être le lieu de sa sépulture, dans un tombeau que lui fit ériger le cardinal Gaillard de la Mothe. On peut voir encore son gisant, malheureusement mutilé par les Huguenots en 1572.